1949 Livre de Cocktails by Emile Bauwens
Les éleveurs ont bien du souci avec la queue de leurs bêtes. Un mien cousin par exemple fixait de petits disques de plomb à la queue de son berger allemand pour qu'elle ne prît plus la courbe du cor de chasse. Il eut des abcès caudaux, le chien. Tout le monde s'accorde également à reconnaître qu'anglaiser les chevaux a quelque chose de barbare. Que diable, si le malheureux canasson n'est pas racé, qu'on ne le martyrise pas pour lui donner l'allure dandy. C'est ce que me disait précisément l'un deux l'autre jour, dans un bar voisin de la statue de Serpollet. Que voulez-vous, me disait-il, mon patron n'a réussi à taire de moi qu'un cocktail, pas un arabe. Comme je ne lui trouvais tout au plus que l'air percheron, je ne savais trop comment le consoler. Le barman s'approcha pour demander à l'animal : — Vous êtes un cocktail... vous ? — Vous pourriez m'adresser la parole à la troisième per sonne... vous ! réplique le quadrupède. — Calmez-vous, dis-je ou barman. Il y a des tas de mots en anglais qu'on ignore, nous autres Parisiens. C'est une langue très riche. — Monsieur ne va tout de même pas me dire qu'il est un cocktail I s'exclame l'homme de l'art. — Il commence à m'ogocer, ce garçon, gronda le cheval. Je vais finir par lui coller un coup de sabot dons le travers des gencives. — Il faudrait consulter un dictionnaire anglais-français, suggérai-je. — Un cocktail ! murmura de nouveau le barman avec mépris. Le cheval ne dit rien mais la peau de ses flancs se ridait d'ondulations brèves et menaçantes, j'essayai d'arranger les choses : — Vous vous souvenez, commençoi-je, vous vous sou venez de cette histoire, assez drôle, quelqu'un entre dans un bar, il demande quelque chose à boire, il fait une légère erreur dans sa commande, lui présente quelque chose d'extraordinaire, mais c'est dans la commande que gît tout le sel de l'histoire, je n'arrive plus à me rappeler très bien les détails, qu'est-ce qu'il avait donc d'extra ordinaire, ce client...
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