1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

Si ce préjugé, dénué de tout fondement, s’est enraciné dans l’opinion, la faute en est, pour une large part, aux restaurateurs, hôteliers, cafetiers qui, trop souvent, majorent d’une façon excessive, inadmissible, le prix des cham­ pagnes vendus par eux. Nous ne parlons pas ici des lieux de plaisir communément appelés « boîtes de nuit ». Tout y est coté aux plus hauts prix; la clientèle spéciale de fêtards qui les fréquente s’attend à être dûment étrillée et serait peut-être même choquée de ne pas l’être. Que les tenanciers de ces établissements spéculent sur le snobisme de leurs hôtes, sur l’ostentation même avec laquelle ils prodi­ guent l’argent, nous n’y voyons pas grand mal. Le public sait que les prix pratiqués en ces lieux sont exceptionnels et sans rapport avec la réalité. Par contre, la clientèle qui hante les restaurants et les hôtels moyens devrait pouvoir y trouver du champagne à des prix plti9 abordables. Malheureu­ sement, trop de commerçants, même parmi ceux qui se contentent, en général, d’un bénéfice raisonnable, ont cette idée bien ancrée dans la tête que la consom­ mation du champagne est comme un signe extérieur de richesse et qu’ils peuvent légitimement prélever un exorbitant pourcentage de bénéfice sur le client qui manifeste le désir de s’en oiTrir un verre... Si l’on pouvait jadis à la rigueur admettre que des hôteliers et des restaurateurs se livrassent à cette pratique, appelée en langage d’initié « la culbute », qui consiste à doubler froidement le prix de la bouteille de champagne vendue (bénéfice : 100 %) cette pratique, d’ailleurs largement dépassée par certains, semble vraiment excessive quand on songe aux prix que les circonstances actuelles ont imposés aux producteurs. Ces pratiques lèsent le client qui en est victime, mais elles sont aussi préju­ diciables à tous ceux qui vivent du champagne, en accréditant partout l’idée que les prix réels de ce noble vin sont en rapport avec ceux que réclame l’hôtelier, ce qui est faux. Les négociants se préoccupent de cette exploitation abusive et voudraient la faire cesser, mais c’est chose assez difficile cav le fournisseur qui prétendrait exiger que son vin ne fût pas vendu au-dessus d’un prix maximum verrait immédiatement sa marque boycottée par les hôteliers. Tl faudrait, pour obtenir un résultat sérieux, une entente massive des négociants, un « front unique » sans fissure, dressé contre les prétentions excessives des commerçants qui exagèrent mais cette union complète est bien loin d’être réalisée. Quoi qu’il en soit, le champagne n’est pas, du moins en temps normal, un vin cher. A la veille de la dernière guerre, bien des gens ignoraient qu’en dépit d’une hausse récente, on pouvait avoir, autant qu’on en voulait, en les achetant directement au négoce, d’excellents champagnes, des bruts — même millésimés — pour 30 à 35 francs la bouteille (les meilleurs vins des toutes premières marques atteignant seuls 40 «à 45 francs; des vins irréprochables en extra-dry ou secs cotaient 20 à 25 francs; enfin, on pouvait obtenir, pour peu qu’on sût frapper aux bonnes portes, des vins demi-secs ou doux fort agréables encore, pour 15 à 18 francs). La modicité de ces prix avait de quoi surprendre, quand on y réfléchit. Songez au prix de la matière première, le raisin; il en faut deux kgs pour faire une bouteille, or, ce kilo s’était déjà vendu juscru’à 10 francs, en 1927 et 1928 par exemple: supputez le prix de la bouteille, des deux bouchons, des musclets, de l’habillage, les salaires de la main-d’œuvre qui procède à toutes les manutentions que nous avons décrites; enfin l’immobilisation des 100

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