1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

Les Champenois se sentirent d'abord quelque peu désarmés contre ces manœuvres. Mais bientôt commença de se construire pierre à pierre l'imposant édifice de la protection légale des appellations d’origine, œuvre de justice et de clarté, qui devait servir à la fois les intérêts du producteur et ceux du consommateur, en opposant aux machinations déloyales d’abord un barrage incomplet à travers lequel filtraient encore bien des abus, puis une véritable muraille de textes, étayée par les contreforts d’une jurisprudence vigilante. □ LE MOT « CHAMPAGNE » EST-IL TOMBÉ DANS LE DOMAINE PUBLIC? Et tout d’abord, les négociants champenois ont dû se défendre contre certains producteurs de vins mousseux originaires d’autres régions qui préten­ daient avoir le droit d’appeler leurs vins « champagne », sous prétexte que ce nom serait tombé dans le domaine public (comme l’eau de Cologne et le savon de Marseille) et devenu une appellation générique pouvant servir à désigner tous les vins — quelle que fût leur provenance — rendus mousseux au moyen du procédé employé de longue date par les négociants champenois. A quoi les tribunaux répondirent que le mot « champagne » ne désignait pas seulement un procédé de fabrication et la nature d’un produit, mais princi­ palement un pays d’origine. La question d’ailleurs ne se pose plus aujourd’hui car elle a été définitive­ ment tranchée par le législateur: la loi du 6 mai 1919 (art. 10) affirme en effet que « les appellations d’origine des produits vinicoles ne pourront jamais être considérées comme présentant un caractère générique et tombées dans Je domaine public ». Mais la Cour de cassation n’avait jamais précisé ce qu’elle entendait exacte­ ment par la « région de Champagne ». Il était donc nécessaire de compléter la définition du vin de Champagne en délimitant les territoires visés par ce terme. La loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes amorça la solution du problème en disposant que des règlements d’administration publique devraient définir les appellations régionales des vins et des crus particuliers. Dès le début se manifesta, en Champagne, un désaccord fondamental entre les représentants de la Marne et ceux de l’Aube. Ces derniers, qui voulaient à tout prix que leurs vins fussent englobés dans la région viticole de Champagne, invoquèrent l’absurdité — plus apparente que réelle — d’une décision qui eût exclu les produits de leur territoire d’un droit qu’ils tenaient de la plus ancienne tradition géographique et administrative, le département de l'Aube ayant toujours fait partie intégrante de la province de Champagne, dont le chef-lieu, Troyes, avait même été la capitale. A quoi les Marnais répondaient que la Champagne et le champagne étaient deux notions essentiellement diffé­ rentes; qu’il n’était pas possible d’incorporer à la Champagne viticole tous les territoires ayant appartenu historiquement à la Champagne, vaste province 106 LA DÉLIMITATION ADMINISTRATIVE DES GRANDES RÉGIONS VINICOLES.

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