1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

composée d'éléments territoriaux hétérogènes et dont les limites avaient d'ail­ leurs beaucoup varié; qu’enfin la seule question qui se posait était celle de savoir si, en vertu d’usages locaux « loyaux et constants », la plus grande partie de3 raisins de l’Aube entraient régulièrement dans la composition des cuvées des négociants en vins de Champagne, question à laquelle les faits et les chiffres, examinés objectivement, permettaient de répondre par la négative. D’autre part, les parlementaires et les vignerons de l’Aisne s'agitaient fiévreusement pour obtenir l’incorporation dans la Champagne délimitée de certaines parties de ce département, notamment dans l’arrondissement cham­ penois de Château-Thierry, qui prolonge, sur les rives de la Marne, le vignoble d’Epernay. Finalement, la première délimitation, réalisée par le décret du 17 décembre 1908, reconnaissait le droit à l’appellation « champagne »: Dans le département de la Marne, à toutes les communes des arrondisse­ ments de Reims, Epernay et Châlons et à 35 communes de l’arrondissement de Vitry-lc-François1 ; Dans le département de l’Aisne, à 46 communes de l’arrondissement de Château-Thierry et à 36 communes de l’arrondissement de Soissons. Mais si l’Aisne obtenait satisfaction, l’Aube se trouvait entièrement exclue. Aussi récusa-l-ellc violemment la décision prise. Aux vignerons de la Marne eux- mêmes, cette décision n’apporta pas le soulagement escompté. Si, en effet, les grandes marques réputées pour la qualité de leurs produits continuaient, ainsi qu'elles l’avaient toujours fait, à n’admettre dans leurs cuvées que des raisins des premiers crus de la Marne, en revanche, d’autres négociants, moins scrupuleux, achetaient à bas prix, sous prétexte d’en faire des vins mousseux, des vins très ordinaires venant, non seulement de l’Aube, mais... d’autres régions de France, et les faisaient entrer sans vergogne dans la composition de cuvées vendues ensuite sous l’étiquette « champagne ». Et, pendant ce temps, les vignerons de la Marne, obligés de garder dans leurs caves une grande partie des récoltes antérieures, souffraient d’une crise de mévente qui réduisait à la misère bon nombre d’entre eux. Ces circonstances suffisent à expliquer les tragiques événements qui se succédèrent dans le9 années suivantes, ainsi que les mesures précipitées, parfois assez incohérentes, que prirent les pouvoirs publics. Ce fut d'abord la loi du 30 janvier 1911, qui obligeait les négociants faisant à la fois des vins de Champagne et des vins mousseux, à manutentionner les uns et les autres dans des locaux complètement séparés, au moins par la largeur de la voie publique, où les vins n’entraient, sous le contrôle de la Régie, qu’avec des acquits différents; la même loi créait aussi l’obligation d’apposer le mot « champagne » sur le bouchon et l’étiquette des seules bouteilles ayant droit à l’appellation. Cette loi souleva l'opposition des vignerons exclus et spécialement des Aubois: manifestations monstres et cortèges de protestation, démission en 1. Dans l’arrondissement de Châlons, quinze communes seulement, dont une seule pour des quantités très importantes (Vertus), ont fait en 1950 des déclarations de récolte. Dans l’arrondissement de Vitry-le-François, une trentaine de communes ont déclaré, mais pour des quantités infimes, et deux seulement ont revendiqué, pour une minime partie de leur récolte, l’appellation « champagne ». Seuls les arrondissements de Reims et d’Epernay sont vraiment viticoles. 107

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