1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

masse des municipalités, feuilles d'impôts brûlées publiquement, telles en furent les conséquences immédiates. Le Conseil d'Etat offrit alors à l’Aube (décret du 7 juin 19111, la satisfaction — jugée dérisoire — de figurer dans une nouvelle région délimitée dite «cham­ pagne deuxième zone », dont le nom même, assez maladroitement choisi, consa­ crait l’infériorité. Cette région englobait les communes de la Marne exclues par le décret de 1908, la plus grande partie du département de l’Aube, l’arron­ dissement de Wassy dans la Haute-Marne et deux communes de la Seine-et- Marne. LA «SAINT-BARTHELEMY DES VINS» (12 avril 1911). Mais, entre temps, la révolte, après avoir longtemps couvé dans la Marne, éclatait brusquement. Un vote du Sénat, hostile au principe même des délimi­ tations, mit le feu aux poudres. Dans la nuit du 11 avril 1911, le tocsin sonnait à Damery et Cumières. Des bandes de vignerons, auxquels se mêlaient sans doute (le fait n'a jamais été nettement établi) des agitateurs professionnels, se jetèrent, à Damery et Dizy, sur les celliers de deux négociants considérés comme fraudeurs et les saccagèrent de fond en comble. Mais c’est le 12 avril que se produisirent les événements les plus graves. Avant l’aube, les vignerons, armés d’échalas et de matraques, convergèrent sur Ay, de tous les points du vignoble: vainement les dragons de Reims et d’Epernay tentèrent d’établir des barrages sur les routes, les arrivants s’infiltraient dan9 les vignes ou se glissaient à flanc de coteau. De véritables scènes d’émeute se déroulèrent alors dans la petite ville, sous l'œil des troupes, appelées d’urgence, mais qui, n’ayant pas d'ordres précis, réagissaient mollement. Non contents de forcer l’entrée des celliers, de défoncer les fûts, de briser par milliers les bouteilles, de saboter les machines et de déchirer les livres de comptabilité, les envahisseurs s'en prirent aux maisons particulières de certains négociants qui ne durent leur salut qu’à une fuite rapide: ce fut un pillage éhonté: tableaux lacérés, coffres- forts éventré?, meubles et objets précieux brisés et lancés par les fenêtres dans la rue où une foule hurlante en faisait des feux de joie. Enfin cinq ou six maisons furent arrosées d’essence et incendiées; le spectacle était lugubre: des jets de flamme et des torrents de fumée roulaient dans le ciel, tandis que des flots de vin se répandaient sur les chaussées, faisant déborder les ruisseaux... A Epernay, où les forces chargées du maintien de l’ordre montraient plus d’énergie, on n’eut à enregistrer que le saccage d’un ou deux celliers. Dès le lendemain d’ailleurs, le calme renaissait; les vignerons demeuraient atterrés, en considérant les témoignages de leur frénésie. La crise avait été aussi brève que forcenée, mais le résultat de la délimitation administrative s’avérait peu brillant: tergiversations, marchandages, convulsions violentes, tel en était le bilan. LA DÉLIMITATION JUDICIAIRE . C’est alors que survient — nous ne dirons pas heureusement — la longue diversion de la guerre mondiale. Les choses restent en l’état jusqu’à la loi du 6 mai 1919 qui, consacrant l'échec des délimitations administratives, y substitue la délimitation par voie judiciaire : c’est aux tribunaux, saisis par toute personne ou tout syndicat intéressé, qu’il appartiendra désormais d’ap-

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