1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

1/2 % d'alcool, le régime sec se trouva du coup étendu légalement à l'ensemble des Etats-Unis. On sait comment cette loi, inspirée par des préoccupations dont le but moralisateur était indéniable, a inauguré en Amérique une ère de fraude, de contrebande et de corruption. Un document qui lit à l’époque un certain bruit constate, en 1928, qu’après dix ans de prohibition, les contraventions à la loi sont plus fréquentes que jamais, les citoyens les plus éminents, ceux mêmes qui doivent faire appliquer la loi ou du moins donner l’exemple, étant les premiers à la violer. « On est partisan de la prohibition, mais chacun pense qu’en ce qui le concerne, elle est sans objet et ne regarde que le voisin, l'ouvrier surtout! » Tous ceux auxquels leur fortune permet de s’offrir de l’alcool peuvent en obtenir autant qu’ils veulent, soit dans les cabarets clandestins ou « speak- easies », dont il y a, dit-on, 25.000 rien qu’à New-York, soit en s'adressant aux médecins qui possèdent la prérogative — combien fructueuse! — de délivrer des permis d’alcool pour une quantité illimitée. Et il y a les débits de boissons alcooliques ouverts en territoire mexicain, le long de la frontière des Etats-Unis, les bars flottants qui croisent à la limite des eaux américaines... L’audace et l’ingéniosité des fraudeurs, des bootleggers , ne connaissent pas de bornes et le public se délecte au récit de leurs prouesses qui stimulent ses instincts sportifs: importations de poupées dont chacune recèle un récipient plein de whisky; histoires de bateaux de contrebandiers pourchassés par les vedettes de la douane, et parfois pillés eux-mêmes par les gangsters; coups de feu échangés; batailles rangées même qui ont lieu au débarquer; tous ces procédés de mauvais films policiers exaltent et détraquent l’esprit populaire et irritent l'envie de goûter au fruit défendu. Malheureusement, les seules boissons inter­ dites qui soient à la portée de l’homme de la rue sont de redoutables mixtures à base d’alcool méthylique, et les décès par intoxication se multiplient. C’est décidément, de quelque côté qu’on l’envisage, la faillite de la prohibition. Elle durera néanmoins jusqu’à 1933, causant pendant ces treize années un préjudice considérable à notre commerce d’exportation1. LA CONTAGION PROHIBITIONNISTE Et puis, les Etats-Unis font école: les ligues de tempérance s’agitent un peu partout. Le Canada, après avoir édicté, pour le temps de la guerre, la prohibition absolue des « intoxicating drinks » a laissé à ses provinces le soin de légiférer souverainement dans ce domaine : sept sur neuf en ont profité pour se rallier au régime sec; les deux autres — Québec et la Colombie britan­ nique — ont voté contre, mais en instituant le monopole des achats par l’Etat; à Québec notamment, une « Commission des liqueurs», par laquelle doivent passer toutes les commandes, fixe les prix de vente, en y incorporant une taxe au profit de l’Etat, et choisit, sans consulter les goûts des consommateurs, les marques à importer. 1. D’après des renseignements officieux, l’importation clandestine de champa­ gne aux Etats-Unis pendant la prohibition aurait été cependant de l’ordre de 2.500.000 à 3.000.000 de bouteilles annuellement, mais ces chiffres paraissent exagé­ rés du double, sinon même du triple!... 122

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