1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

SOUS L'ŒIL DES BARBARES...

J'aime mieux voir Turcs en campagne Que de voir nos vins de Champagne Profanés par les Allemands...

disait, il y a quelque trois cents ans, le bon Champenois La Fontaine... Ilélas! le choix ne nous a pas été laissé... De juin 1940 à l’extrême lin d’août 1944, les Allemands ont occupé Reims, Epernay, le vignoble; pendant ces quatre années de misère et d’humiliation, nos vins ont été mis en coupe réglée et le vainqueur... provisoire s’en est gavé sans la moindre discrétion. Cette prédilection date de loin : Goethe n’a-t-il pas fait dire, dans son premier Faust , à Brender, un des joyeux lurons de la taverne d’Auerbach : « Je désirerais du vin de Champagne, et qu’il fût bien mousseux... » Et d’ajou­ ter aussitôt : « Un bon Allemand ne peut souffrir les Français; pourtant, il boit leurs vins très volontiers!... » On comprend dès lors que Reims, Epernay et même les bourgades du vignoble aient été, pour les occupants, des garnisons très désirées... L’arrivée des troupes allemandes, en juin 1940, fut marquée tout d’abord par un pillage éhonté des stocks du négoce, puisqu’elles raflèrent dans les caves des maisons, en quelques semaines et sans aucun paiement, plus de 2 mil­ lions de bouteilles (sans compter naturellement les milliers de flacons laissés dan9 leurs caves personnelles par les habitants des villes champenoises qui avaient fui devant l’invasion). C’est alors qu’un organisme français et champenois, le B.N.R.C. (Bureau National de Répartition du Champagne), créé par M. R.-J. de Vogué, s'inter­ posa entre les négociants et l’autorité occupante pour faire cesser ce régime de pillage; il obtint que les enlèvements de champagne fussent payés au même titre que toute autre livraison et conditionnés par la présentation de bons régu­ lièrement établis. Un peu plus tard, le Militarbefehlshaber — puissance absolue qui siégeait à Paris ments et délégua en Champagne un Regierungsrat. Ce « fiihrer du champagne », comme on le surnommait, installa ses bureaux dans un des plus somptueux hôtels particuliers de Reims : ancien représentant de marques françaises de vins et spiritueux, il parlait admirablement notre langue. Ce fut un redoutable adversaire pour les membres du B.N.R.C., qui cherchaient par tous les moyens à obtenir de l’autorité occupante une diminution des prélèvements de cham­ pagne, en prétextant notamment le manque de matières premières dont souf­ frait la région. Le prélèvement annuel fut fixé à 18 millions de bouteilles, soit 360.000 par semaine. Cette charge fut quelque peu allégée à partir de mars 1942, par l’apport hebdomadaire de 75.000 bouteilles de vin mousseux qui réduisit d'au­ tant la contribution imposée à la Champagne. En 1943, le même contingent annuel de 18 millions de bouteilles (dont 14.200.000 pour le champagne et 3.800.000 pour les mousseux) fut réclamé par l’Hôtel Majestic. Enfin, pour punir l’attitude résistante d’un grand nombre de professionnels du champagne, les Allemands portèrent à 20 millions de bouteilles (dont 15 millions de champagne et 5 de mousseux) le contingent prit lui-même en mains l'organisation de" ces prélève-

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