1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

ces et grands seigneurs, et cependant oligophores », c’est-à-dire si délicats qu’ils ne portent l’eau qu’en fort petite quantité. Aussi les rois de France, et avec eux les plus puissants souverains d’Europe, voulurent-ils acquérir personnellement des vignes à Ay même. Cela devint une mode, une sorte d’émulation à laquelle sacrifièrent notamment François Ier, Charlcs-Quint, Henri VIII d’Angleterre et le pape Léon X. Charles IX y entre­ tint un vendangeoir, ainsi que Henri IV, qui, a-t-on dit, prenait volontiers le titre de « sire d’Ay ».

VOGUE CROISSANTE DES VINS DE CHAMPAGNE AU GRAND SIÈCLE.

Vers la fin du XVIIe siècle, le marquis de Saint-Evremond, favori des rois d’Angleterre Charles II et Guillaume III, contribua beaucoup à la diffusion des vins de Champagne dans ce pays : « N’épargnez aucune dépense pour avoir des vins de Champagne, fussiez-vous à 200 lieues de Paris », écrit-il en 1671 à son ami le comte d’Olonne... Jacques II, ex-roi d’Angleterre, auprès de qui vivait Saint-Evremond, avait d’ailleurs eu l’occasion d’apprécier le vin de Champagne pendant son exil à la Cour de Louis XIV. On connaît, grâce à Saint-Simon, l’anecdote qui le montre aux prises avec l’archevêque de Reims, Le Tellier, frère de Louvois. Ce dernier présidait en 1700 une assemblée du clergé qui se tint précisément au château de Saint-Germain, où résidait le roi d’Angleterre. Ayant entendu vanter le vin de Champagne dont « Monsieur de Reims » abreuvait libéralement ses confrères dans l’épiscopat, au cours des somptueux repas qu’il leur offrait, le monarque « en envoya demander à l’archevêque, qui lui en envoya six bou­ teilles ». Jacques II remercia, dégusta et, ayant trouvé le vin à son goût... en redemanda. Mais Le Tellier, dont les « brusqueries » — pour ne pa9 dire les grossièretés — étaient bien connues, « lui manda tout net que son vin n'était pas fort et ne courait pas les rues, et ne lui en envoya point ». Les villes de Reims et d’Epernay se montraient plus généreuses : elles ne manquaient jamais d’offrir d’importants présents en vins de Champagne, 6oit à leurs hôtes de marque, rois ou princes du sang, en remerciement et souvenir de leur visite, soit, comme don de bienvenue, aux nouveaux archevêques ou aux hauts fonctionnaires de la Couronne lors de leur entrée en charge. Biscuits et pains d’épices — déjà réputés — accompagnaient généralement, du moins à Reims, les vins offerts, ainsi que certaines poires de Rousselet, très en honneur dans la ville des sacres et la tradition a conservé le souvenir de ce président de députation qui, recevant en 1666 Louis XIV à Reims, s’exprima en ces termes : « Sire, nous vous offrons nos vins, nos poires, notre pain d’épices, nos biscuits et nos cœurs. » A quoi le roi répondit, prenant à témoin sa suite : « Voilà, Messieurs, le genre de discours que je préfère. » Il convient de remarquer que, pendant longtemps, les vins de Champagne réputés et consommés sous ce nom furent des vins rouges et non mousseux. A une époque qu’il est difficile de fixer avec exactitude, sans doute vers le début du XVII* siècle, probablement pour répondre à une mode nouvelle, les Champe­ nois se mirent à faire, avec leurs raisins noirs, un vin non pas encore blanc, mais gris, rosé, « œil de perdrix », répondant bien aux épithètes « clairet »,

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