1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

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veinent sur les vins rouges, qui sont de nature tranquille, on n’attachait guère d’importance aux propriétés des vins blancs abandonnés à la consommation régionale. Mais la situation changea lorsqu’au début du XVIIe siècle, on se mit à demander les vins gris « clairets et fauvelets » dont nous avons déjà parlé. Alors on se heurta aux caprices de la mousse, et c’est ici que doit se placer l'intervention du bon moine. Son œuvre propre paraît avoir consisté tout d'abord à étudier soigneusement les prédispositions naturelles des vins cham­ penois à l'effervescence, ensuite à trouver une méthode permettant d’obtenir à coup sûr une mousse régulière, quelle que fût la qualité des vins. Celle méthode dut avoir pour base l’introduction dans le liquide d’une petite quantité de sucre minutieusement dosée. Dom Pérignon semble aussi avoir, sinon inventé, du moins développé et perfectionné l'idée de faire des mélanges de crus différents — idée vraiment géniale que ce savant assemblage de crus constituant une symphonie très supé­ rieure à cc que donne, isolément, chacun des vins, pourtant séduisants, qui la composent. D’après un manuscrit de Frère Pierre1, « le Père Pérignon ne goutoit pas les raisins aux vignes bien qu’il y alloit presque tous les jours à l'aproche de leur maturité, mais il se faisoit apporter des raisins des vignes et n'en faisoit la dégustation que le lendemain à jeun, après leur avoir fait passer la nuit à l'air sur sa fenestre. Jugeant du goût selon les années, non seulement il composait ses cuvées, scion ce goût, mais encore, selon la disposition du temps, «les années précoces, tardives, froides, pluvieuses, et selon les vignes bien ou médiocrement fournies de feuilles. Tous ces évenemens luv servaient de règles pour la composition de ses cuvées ». Suivant le proverbe aux termes duquel en ne prête qu’aux riches, certains ont voulu faire honneur à dom Pérignon de plusieurs améliorations d’ordre technique. C’est ainsi qu'on lui attribue, sans preuve péremptoire, la substitu­ tion du bouchon de liège, seul capable de retenir la mousse du vin, aux tampons de chanvre imbibés d'huile usités jusqu’alors pour le bouchage des bouteilles, et même l’invention du verre en forme de flûte élancée, bien préférable, pour la dégustation, à la coupe. Sans doute 11e saura-t-on jamais l’importance exacte du rôle joué par dom Pérignon, mais déjà la légende s’est emparée de son nom et brode, d’année en année, sur l’obscur tissu de sa vie monastique, de jolis motifs délicatement entrelacés. Un Comité s'est formé qui, tous les ans, le fête au joli bourg d’Hautvillers, mi-viticole, mi-forestier. Surplombé d’un côté par des futaies serrées qui s’arrê­ tent aux lisières du pays, le village, bâti à flanc de coteau, domine, de l’autre, une immense étendue de vignes qui dévalent en molles ondulations jusqu’au fond de la vallée où s’étale la ville d’Epernay, où luisent, à travers des prairies rehaussées de fins peupliers, les méandres paresseux de la Marne. Au delà se dresse sur l'horizon la ligne de faîte des collines d’Avize, patrie des raisins blancs. De l’abbaye, fondée au vil® siècle, il 11e reste que l’église abbatiale, des xii”, xvi° et XVIIe siècles, avec des boiseries richement sculptées, un côté du cloître 1. Traité de la Culture des Vignes de Champagne situées à Hautvillers, Cumières, Ay, Epernay, Pierry et Vinay, par le Frère Pierre. Ce Frère convers, après avoir été l’élève de Dom Pérignon, fut, selon YHistoire de l’Abbaye et du Village d’Haut­ villers , par l’abbé Manceaux (tome II, page 570), adjoint à Dom Philippe, successeur immédiat de son maître. 19

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