1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

chou et considérait que « le moussage est un mérite à petit vin et le propre de la bière, du chocolat et de la crème fouettée ». (Lettre à d’Artagnan, 18 octo­ bre 1713.)

CAUCHEMAR DU NÉGOCE. LA « CASSE », D’ailleurs, ce concert d'éloges presque unanime ne doit pas nous donner le change : la préparation des vins de Champagne est encore bien loin d’avoir atteint le degré de perfection qu’elle acquerra par la suite. Le xvni° siècle est, pour les négociants champenois, une période d’incertitude et de tâtonne­ ments : la qualité des vin9 subit de sérieuses fluctuations; certains 6e troublent sans raison apparente; d’autres deviennent huileux; la prise de mousse est très irrégulière; la difficulté des transports nuit à la bonne conservation des vins et limite beaucoup le commerce avec l’extérieur. Et surtout — surtout! — il y a la casse des bouteilles, fléau imprévisible, irrégulier, capricieux, qui souvent atteint des proportions catastrophiques allant jusqu’à 25, 30 et même 40 %!... On voit encore dans certaines caves de Champagne les traces des rigoles creu­ sées jadis au long des casiers à bouteilles pour recevoir le vin de la casse. Longtemps les négociants durent subir ce désastre sans trouver parade efficace à lui opposer. On comprend dès lors que le négoce n’ose risquer que de très modestes « tirages » et que la production ne soit pas souvent en état de satis­ faire à toutes les demandes... En 1780, un négociant d’Epernay tire 50.000 bou­ teilles; le chiffre paraît fabuleux. La casse prolonge se9 méfaits fort au delà du xvin® siècle. En 1833 et 1834, elle décimait encore les caves. En 1842, elle brisait 2 millions de bouteilles à Epernay seulement et un professeur de mathématiques inventait, pour lutter contre elle, un appareil dit le Paracasse... Un brusque changement de tempé- iature pouvait amener des catastrophes et la tradition champenoise a gardé l’histoire — déjà ancienne — de ce négociant qui, voyant, en une telle circons­ tance, les bouteilles sauter et le vin ruisseler dans ses caves, fut pris d’une colère folle et se mit à frapper, à grands coups de canne, les flacons épargnés, en jurant et sacrant : « Eh! casse donc aussi, toi!... » ESSOR ET DIFFUSION MONDIALE DU CHAMPAGNE. C’est seulement vers le milieu du xix° siècle que les travaux de chimistes spécialisés dans l’œnologie, l’emploi judicieusement dosé du sucre, l’applica- tion du machinisme au travail des vins mousseux, la fabrication de bouteilles plus épaisses et résistantes, arriveront enfin à perfectionner la technique de la préparation des vins et à maîtriser (mais jamais complètement!) la casse. En même temps, le groupement des capitaux en sociétés commerciales et l’accélération croissante des moyens de transport permettront au négoce de produire sur une vaste échelle, de « relancer » jusque chez lui le client étranger par l’intermédiaire des voyageurs de commerce, de le solliciter sans répit par une intelligente publicité. Alors seulement, vers 1875-1880, l’industrie des vins de Champagne prendra véritablement son essor et connaîtra une diffusion mon­ diale. Nous la retrouverons, parvenue (non sans luttes) à cet ultime stade de son développement, dans le dernier chapitre de ce petit volume. 21

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