1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

résistante aux rigueurs de l’hiver, ses charpentes aériennes peuvent être tuées par Je froid à partir de —15° lorsque cette température persiste pendant plusieurs jours, surtout quand le froid s’accompagne d’humidité. En fait — et fort heureusement — la vigne a souvent résisté, en Champagne, à des températures plus rigoureuses. Mais tout le monde a pu voir, dans des atlas de géographie économique, la fameuse ligue fictive qui marque la limite septentrionale de la culture de la vigne. Or, Je vignoble champenois est bien proche de cette ligne et c’est là ce qui rend sa situation scabreuse, souvent même dramatique. Pour peu que l’hiver se prolonge jusqu’au cœur du printemps, ou que l’été, gris et pluvieux, ménage au soleil de trop rares apparitions, les raisins coulent ou mûrissent mal, le vin manque complètement ou il est cruellement acide... Parfois, — rarement d’ailleurs, — une brutale poussée de chaleur grille les raisins et les prive de jus; plus souvent, c’est un excès d’humidité qui développe les maladies cryptogamiques. RECUL DE LA VIGNE. Est-ce au climat qu’il faut attribuer le recul de la vigne, phénomène général constaté en France et en d’autres pays? Autrefois, en effet, jusqu’à une époque relativement récente, la vigne était cultivée non seulement à Paris et dans toute l’Ile-de-France, mais en Normandie, dans la Somme, même en Flandre et dans les Ardennes. Pourquoi toutes ces vignes ont-elles disparu? Fait-il aujourd’hui plus froid que jadis? Non sans doute, s’il faut en croire les vieilles chroniques, et notamment le précieux « journalier » dans lequel le bon Champenois Maître Jean Pussot a pris soin de noter minutieusement, année par année, de 1569 à 1626, l’état des vendanges, la qualité et le prix du vin. Ce n’est qu’une litanie sempiter­ nelle et calamiteuse d’ « yverts longs », de « gellées tardyves » sévissant jusqu’au mois de mai ou même de juin... « pourquoi n’y avoit grande espérance de recueiller grande chose, saulf la providence de Dieu ». Il est vrai qu’en guise de compensation — si l’on peut ainsi dire — certaines années amenèrent avec elles soit « grandes eaues » (1583 : « Ceste année' fust fort humide et venteuse, de sorte que les eaues furent grandes, tant aux rivières que aux caves»); — soit «vignes greslées » (1599: «Une nuée qui advint le jour de sainct Jehan-Baptiste au soir, de laquelle en plusieurs lieux les vignes furent greslées et sy les vignes quasi partout furent fort escoullées et diminuées, tant par les froydures que des challeurs du devant ») ; — soit «course de vers, chenilles et vermynes » ; — soit enfin « grande seicheresse » (1624 : « La grande clialleur continuant fut sy forte et véhémente que le jour saincte Anne, vendredy XXVII juillet, la plupart des vignes furent bruslé et les feuilles desséchées, en 9orte que le fruict n’alloit en augmentant et y avoit peu d’espérance d’avoir bon recueil; mais Dieu est par dessus »). Ces citations démontrent à l’évidence qu’en fait de conditions climatériques, il n’y a rien de nouveau sous le soleil — sous le soleil trop parcimonieux de nos régions septentrionales. Les saisons n’ont guère changé. Toujours elles ont ménagé aux vignerons de nos contrées des séries de déceptions indéfiniment renouvelées. Aussi la plupart d’entre eux ont-ils fini par renoncer. 32

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