1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

à des plants greffés résistant au phylloxéra, les écarts de maturité qui exis­ taient jadis entre les crus de la Vallée de la Marne, ceux de la Côte Blanche et ceux de la Montagne de Reims, se sont sensiblement atténués. Il est vrai que les porte-greffes employés dans ces différents vignobles sont les mêmes. L’évolution de la maturité n'est donc plus guère influencée que par le jeu de micro-climats. Sous PAiicien Régime — et même plus tard — on ne pouvait vendanger avant la date fixée par le Ban de Vendanges; ceux qui y dérogeaient en prenant de l’avance étaient passibles de procès-verbaux. En certains endroits, des gardes spéciaux, payés par les propriétaires au prorata des superficies, et appelés gardes-messiers (probablement du latin messis, moisson), étaient chargés de veiller à l’observation de la consigne et d’empêcher le grappillage prématuré des raisins. Dans quelques communes, les plus gros propriétaires vignerons se réunis­ saient à la mairie pour fixer entre eux la date d’ouverture et le conseil muni­ cipal donnait son avis. A l’heure actuelle, c’est un arrêté préfectoral qui fixe la date officielle de l'ouverture des vendanges. Les descriptions pittoresques auxquelles a souvent donné lieu le grand branlebas annuel des vendanges en Champagne nous dispensent d’y insister longuement. La caractéristique principale en est la brusque invasion du vignoble par des milliers de travailleurs du dehors, venant d’un peu partout mais principalement de l’Argonne, de la Lorraine, des Ardennes et du Nord; les uns arrivent par chemin de fer, d’autres par la route, à pied ou à bicyclette; d’autres encore dans de grandes voitures, des autobus ou des roulottes; ce sont le plus souvent des ouvriers agricoles ou bien des trimardeurs, s embauchant tour à tour pour les moissons, les vendanges, les battages; parfois même des ouvriers d’industrie pourvus d’un métier régulier mais pour qui les vendanges, travail de plein air, salubre, agrémenté d’une « cure de raisins », apparaissent comme des sortes de vacances payées qu’ils retrouvent avec plaisir chaque années; à ces vendangeurs réguliers se mêlent aussi — c’est fatal — un certain nombre d’indésirables qui cherchent dans la confusion et le brouhaha de ces journées l'occasion de quelques rapines... Les grands domaines embauchent ces auxiliaires par centaines, mais les petits propriétaires eux-mêmes doivent souvent recourir à leurs services, car la besogne presse et le raisin doit être entièrement cueilli avant que les premières pluies d’automne ne viennent favoriser l’éclosion des champignons pourrisseurs de grappes... C’est surtout dans une petite ville comme Ay, où tout est subordonné à la culture de la vigne et au commerce du champagne, qu’on peut observer les effets de cette migration qui submerge littéralement la population indigène. Les propriétaires logent les survenants dans des greniers dont le plancher est couvert d’une épaisse litière de paille ou de foin; quelques grands domaines leur offrent des dortoirs, avec lits individuels, lavabos, douches, salon de lecture et vastes réfectoires rapidement transformables en salle de danse. En général, on prend soin de séparer les sexes : le repos de chacun n’en est que mieux assuré... De bonne heure le matin on sonne ou tambourine le réveil, car la cueillette doit commencer dès la pointe de l’aube et se poursuivre tout le jour, pressée, hâtive — et soucieuse, lorsque le temps menace de se gâter. 48

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