1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

Sur la place publique, dans les ténèbres trouées par la lueur de quelques lumignons, avait lieu jadis la louée : les maîtres vignerons dont les équipes n'étaient pas au complet venaient y embaucher les hommes et les femmes qui leur manquaient. Le bruit et la confusion sont d’abord à leur comble, puis tout s’organise peu à peu et les propriétaires forment leurs bordons, groupes de vendangeurs composés de cucilleurs, de porteurs et de coltineurs. Avant de partir au travail chaque vendangeur, qui a reçu au moment du réveil un quart de café bien chaud, absorbe à la hâte un petit déjeuner composé de soupe et de légumes réchauffés, ou bien de charcuterie, et d’un morceau de fromage de Maroilles. Chez certains propriétaires vignerons, ce casse-croûte est agrémenté parfois d’un coup de cette cau-dc-vie d’aignes (ou de marc) très populaire en Champagne où elle est appelée dédaine. Puis les hordons s’égaillent dans les vignes où voltigent les bavolets des cueillcuscs, grands papillons blancs qui semblent butiner parmi les pampres rougissants. A midi, un repas substantiel et chaud apporté à la vigne est consommé sur place; enfin, à la tombée de la nuit, les hordons regagnent leur gîte où les attend un gigantesque pot-au-feu ou une copieuse potée de choux et de lard, le tout congrument arrosé de vin. La cueillette se fait à la serpette, aux ciseaux ou mieux au sécateur. Lorsque l’ensemble de la récolte est sain et les grappes uniformément mûres, les cueilleuses se contentent d’éliminer à la pointe du ciseau les quelques grains verts qui subsistent. Mais quand les grappes sont inégalement mûres, avariées par des insectes ou des infections cryptogamiques, alors les vendangeuses vident leurs petits paniers sur des clayettes d’osier où les raisins subissent un minutieux épluchage; les grappes, dont la maturité n'est pas complète, ainsi que les v grains gâtés ou simplement altérés sont jetés dans des récipients spéciaux; ils serviront à faire des vins « de détour »; seule la vendange parfaitement saine et mûre sera déposée dans les caques, paniers de 60 kilogs, ou mannequins, qui contiennent 80 kilogs; ceux-ci, enlevés à l’aide de bâtons munis de crochets, par deux solides coltineurs ou débardeurs, seront conduits aux voitures qui les amèneront incontinent aux vendangeoirs. VENDANGES DE JADIS. Autrefois, les vendanges étaient agrémentées de coutumes curieuses, d’ail­ leurs très variables d’une commune à l'autre, qui ajoutaient à leur solennité en même temps qu'à leur pittoresque. Des cérémonies religieuses en soulignaient l’importance : messe d’ouver­ ture, parfois anticipée d’une semaine, avec prières spéciales pour obtenir le beau temps pendant toute la durée de la récolte ; messe de clôture d’actions de grâces; décorations de statues, celles de la Vierge et de saint Vincent surtout auxquelles on mettait souvent une grappe de raisin dans la main; les calvaires des chemins étaient, eux aussi, décorés de la grappe symbolique, sorte d’hom­ mage ou (Vex-voto. L’arrivée des vendangéurs, dont la plupart empruntent de nos jours chemin de fer ou autobus, était jadis bien plus impressionnante quand on voyait venir par la route d’immenses chariots de Lorraine ou d’Argonne aux ridelles branlantes, traînés par des mulets, remplis d’enfants et de vieilles femmes aux coiffes multicolores et suivis à pied par de véritables tribus 49 4

Made with FlippingBook - professional solution for displaying marketing and sales documents online