1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

d'hommes et de femmes. Certains amenaient avec eux, — survivance du compa­ gnonnage, — la « mère des vendangeurs », femme d'âge canonique, choisie par eux et exerçant sur eux une grande autorité morale; elle servait d intermé­ diaire entre ses compagnons et les*propriétaires qui les avaient embauchés et apaisait les différends qui pouvaient survenir. Et tous les bordons partaient à la cueillette en chantant des chansons plus ou moins gaillardes :

Allons en vendange Pour gagner cinq sous Coucher sur la paille, Ramasser des poux, Manger du fromage Qui pue comme la rage, Boire du vin doux Qui fait... partout!...

La dernière journée des vendanges était marquée par un ensemble de réjouissances désigné, dans le vignoble marnais, sous le nom de cochelet. A la dernière charretée était fixé un bouquet appelé lui aussi cochelet, composé de fleurs des champs ou quelquefois de pousses de vigne encore garnies de beaux raisins. Ce bouquet, attaché ensuite au bout d'un bâton, était offert au patron par une jeune fille accompagnée d'un gars : « A l’honneur du cochelet, patron, on vous offre ce bouquet ». Le maître vigneron n'avait plus qu'à embrasser la fille... et à offrir le champagne. Dans certaines localités s’organisait ensuite un cortège burlesque. En Scine- et-Marne, un roi des vignerons, sorte de Bacchus couronné de pampres et juche sur un âne, parcourait gravement le village parmi les pétarades de mousque- terie. Dans la Montagne de Reims, les vignerons eux-mêmes défilaient dans les rues, porteurs des instruments de la vendange et du pressurage — paniers, serpettes, hottes, seaux, pelles, avec chacun un balai au sommet duquel brillait une chandelle allumée. Sur la place de l'Eglise, on faisait un feu de joie des balais, tout en chantant. Puis avait lieu, — partie essentielle de la fête, — un plantureux repas de vendanges, appelé lui aussi cochelet, pour lequel on sacrifiait généralement quelques coqs (d’où ce nom appliqué à l’ensemble des réjouissances). La journée se terminait par un véritable bal, à l’issue duquel une dernière farandole endiablée déroulait ses anneaux dans les rues obscures du village... Les vendanges étaient jadis traditionnellement suivies d’une contribution, d’ailleurs purement volontaire, acquittée par les récoltants en faveur du curé, de l’instituteur et du garde champêtre : chacun d'eux avait son tonneau parti­ culier dans lequel les vignerons versaient quelques mesures de vin nouveau. Enfin — institution charitable parallèle au glanage — le grappillage était officiellement autorisé : quand les vendanges étaient complètement terminées, mais alors seulement, les pauvres gens pouvaient parcourir les vignes et recueillir, pour en faire leur boisson familiale, les grains laissés sur les ceps comme insuf­ fisamment mûrs pour la cuvée. A Vertus, par exemple, l’ouverture du grappillage était annoncée par le garde champêtre qui s’en allait planter un grand balai au milieu des vignes !... ...Mais nous devons arrêter ici cette évocation de coutumes naïves, surannées, bien sympathiques au demeurant. Les gçns qui vivaient en ces temps lointains 50

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