1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

général, il est — surtout dans la Vallée de la Marne — capable de brefs accès de violence. (On en a eu la preuve en avril 1911, où 41 établissements de com­ merce ont été, dans le vignoble, incendiés ou mis à sac en 48 heures.) Sceptique et positif à son ordinaire, ne s’en faisant pas accroire, le vigneron champenois possède souvent un tour d’esprit malicieux, prompt à saisir les ridicules et à s’en gausser; il descend, à cet égard, de Rabelais et de Voltaire (qu’il n’a jamais lus), mais surtout du bonhomme La Fontaine, son compatriote. Très peu idéaliste, modérément religieux, il a malheureusement laissé tomber la plus grosse part des croyances, des vieilles coutumes, des réjouissances popu­ laires, qui convenaient à l’âme plus simple de ses pères, tout en gardant une sympathie, inconsciente sans doute mais assez vivace, pour certaines traditions régionales. Ce sentiment s’affirme tout d’abord dans son langage familier : ce n*est pas un patois, mais un français relativement correct, seulement émaillé de locutions et de mots savoureux, expressifs, et qui souvent font image. Les vignerons ne manquent pas de se décocher entre eux les traits acérés de leur ironie congénitale : les sobriquets, injurieux ou plaisants, qu’ils échan­ gent d’un village à l’autre, témoignent de cette humeur gouailleuse. Bien entendu, il ne faut pas prendre ces surnoms au pied de la lettre ni accepter pour argent comptant certaines allusions à la légèreté prétendue de nos jeunes vigneronnes!... Voici quelques échantillons : les « gobeux d’Orquigny »; les « gueux de Tauxières »; les « glorieux de Cumières »; le9 « crapiauds de Chouilly »; les « ânes de Rilly »; la « pouillasserie de Pargny »; les « Mes­ sieurs de Mareuil » et les « gens d’Ay »; « les gens de Cormoyeux ont la gueule ouverte avant les yeux »; Bergères-les-Vertus : LE PARLER CHAMPENOIS.

Le pays des bergères où elles ne sont guère, Le pays des vertus où elles nyen ont plus...

Grand clocher, méchantes gens; belles filles à marier, rien

Cramant : à y eux donner... ». Avize : « Belles cottes, pas de chemises... ».

Certains de ces sobriquets évoquent des légendes gaillardes ou simplement comiques. Les « cocus d’Hautvillers », par exemple : ce surnom désobligeant est une allusion au fait prétendu que, du temps de l’abbaye, la présence des sandales d’un moine à la porte d’un ménage interdisait l’entrée au mari... Les « neyeux (noyeurs) de saints de Darnery » seraient ainsi baptisés pour avoir jadis jeté à la Marne la statue de saint Georges, patron des cerisiers, parce que ces arbres avaient gelé le jour de sa fête. La légende ajoute que la statue de bois aurait descendu le fil de l’eau jusqu’au village de Reuil, où les vignerons l’auraient repêchée et placée dans leur église; enfin, l’étonnant dicton aux termes duquel la « Sainte Vierge de Grauves a fait plus de tours que de mira­ cles » vient de ce qu’on aurait transformé en statue de la Vierge une vis de pressoir en bois...

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