1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

LE CHAMPAGNE NE SE FABRIQUE PAS. C'est ici que les ignorants, parfois aussi les malveillants, ont parlé d’une fabrication du champagne. . Il est vrai qu'un arrêté de la Cour de Cassation déjà fort ancien (12 juil­ let 1845) a qualifié les vins de Champagne « produits fabriqués », en se basant sur le fait que la nature n’y travaillait pas seule, la main de l’homme et des moyens techniques lui prêtant un constant appui. Mais il s’agissait seulement, dans l'intention de la Cour suprême, d’assurer aux vins de Champagne le béné­ fice de la protection à l’égard des contrefacteurs que la loi de 1824 n’accorde qu'aux objets fabriqués. Quoi qu'il en soit, les négociants, qui savent mieux que personne en quoi consiste leur métier, ont toujours répudié ce terme de fabri­ cant. Certains d’entre eux, sans doute, peuvent être qualifiés industriels, en raison des vastes dimensions de leurs établissements, du rôle de plus en plus important qu'y jouent les machines et les forces motrices qui les actionnent; mais tout ce qui touche à la technique même de la champagnisation ne tend qu'à faciliter, à favoriser l’action de la nature; c’est cette dernière seule qui fait le vin de Champagne, sans qu’interviennent soit l’application directe de procédés mécaniques à l’évolution des vins, soit l’addition à ce vin de produits chimiques, en dehors, bien entendu, des ingrédients dont le soin des vins requiert l’emploi en tout pays, aussi bien en Bourgogne ou dans le Bordelais qu’en Champagne ^sucre, colle, tanin, soufre, etc...). LA CUVÉE , ŒUVRE D'ART... La préparation de la cuvée est la première phase, et la plus importante, de la champagnisation. Dès le mois de janvier, les chefs de maisons goûtent atten­ tivement les vins provenant des différents crus du vignoble, puis ils le9 mélangent entre eux dans des foudres d’une certaine capacité. L’expérience a démontré, en effet, que, pour obtenir un vin réunissant toutes les qualités : bouquet, vinosité, finesse, il était nécessaire de mélanger entre eux les différents crus, dont chacun apporte à l’assemblage sa qualité dominante. Ces mélanges — coupages et recoupages — seront répétés plusieurs fois, dans des proportions différentes; après bien des essais, dégustations et tâtonnements, ils aboutiront à l’obtention d'un assemblage considéré comme optimum , que la maison adoptera et qui fournira la cuvée. La composition de la cuvée est une véritable œuvre d’art. C’est dans ce dosage minutieux des jus de raisins noirs et de raisins blancs, dans cette fusion intime, ce mariage des meilleurs sucs du vignoble, chacun intervenant dans cette union pour une part différente suivant les années, que se manifestent l’habileté, le discernement, l’expérience consommée, la subtilité de. goût et la délicatesse de palais du chef de maison ou du dégustateur qui a créé cet assemblage, attendu, guetté avec une véritable anxiété par certaines clientèles d’amateurs auxquels on n’en ferait pas accroire!... On peut dire que, haussé à ce degré, l’empirisme devient science. Parmi les grandes maisons, chacune a son type de cuvée, dont l’élaboration repose parfois sur des secrets transmis de père en fils. Il est des négociants qui, en variant, selon les conditions climatériques, l’apport des différentes régions du vignoble à l'assemblage, et aussi en faisant appel à des adjonctions de vins de 74

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