1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

moi ries, de drapeaux, de .liséré*, de bandes en diagonale ou en sautoir; le tout donnant lieu parfois à d’excessifs bariolages, souvent aussi à des réussites du meilleur goût. Le débouchage d’une champenoise est tout un art. On laisse parfois le bouchon sauter en détonant : pratique un tantinet vulgaire, excusable quand il s’agit d’amuser des enfants, petits ou grands, ou d’égayer des banquets popu­ laires dont les convives ne sauraient se passer de bruyants éclats. Mais les vrais amateurs de champagne n’ont que faire de ces pétarades; ils débouchent la bouteille avec précaution, en tordant et cassant, d’un tour de poignet rapide, le fil de fer du muselet, amènent doucement le bouchon, en lui imprimant un mouvement de rotation pour le faire mieux glisser le long du goulot, tout en le maintenant pour l’empêcher de sauter et laissent le gaz fuser avec un léger susurrement. D’ailleurs, la force expansive de ce gaz est extrêmement réduite quand il s’agit d’un vin d’âge respectable, rafraîchi bien à point. C’est surtout quand on l’a laissé tiédir ou agité mal à propos — impardonnables négli­ gences! — que le bouchon saute violemment, comme celui d’un vulgaire mous­ seux, gazéifié à bloc, entraînant avec lui un jet de mousse et de liquide. Car il y a la mousse!... Pas trop n’en faut d’ailleurs. Les mousseux de tout acabit engendrent une écume épaisse, inerte, qui flotte longtemps à la surface et rappelle la mousse de la bière. Le grand vin de Champagne donne une mousse abondante sans doute mais fine, légère, prompte à se dissiper et qui, d’ailleurs, se conserve admirablement dans la bouteille et pétille à nouveau chaque fois que les verres sont remplis... Mais approchez le verre de votre oreille; écoutez la rumeur chuintante qui s'en élève, tandis que la mousse effervescente vous crible la joue de minus­ cules gouttelettes fraîches... Je me rappelle un film américain qui mettait en scène — transposition anglo-saxonne de FIngénu — une jeune et ravissante girl, de pure race peau- rouge, transférée brusquement de scs forêts natales aux salons de New-York. Pour la première fois de sa vie, on offre à la jeune Huronne une coupe de champagne; elle la porte près de son oreille et s’écrie avec un naïf émerveil­ lement : « Ça chante!... » Quel négociant aura l’idée d’utiliser pour sa publicité ce trait charmant?... La mousse est brève mais l’effervescence du vin persiste : le dégustateur qui, « mirant » son verre, élevé à la hauteur de l’œil, contemple la belle coulée d’or pâle si limpide, verra monter du fond du récipient, pour venir expirer à la surface, d’innombrables petites bulles qui sont comme la respiration de ce vin vivant... L’impression produite est très voisine de celle qui vous saisit lorsqu’assis devant un feu de bois, vous regardez fixement les palpitations sans cesse expi­ rantes, sans cesse renaissantes, des flammes rouges, bleuâtres ou dorées qui s’agitent sous le manteau de la cheminée. De cette contemplation, vous glissez insensiblement à la rêverie, à l’évocation du passé... De même, le spectacle de ces petites bulles qui, par centaines, montent en se bousculant du fond de votre verre, comme si elles avaient hâte de venir mourir à la surface, symbolise le rapide écoulement de toutes choses, la brièveté de la vie... Et voilà que ce vin, compagnon obligé des fêtes, des gaîtés bruyantes, se révélerait aussi capable d’inspirer et de nourrir une songerie teintée de mélancolie... si on le buvait seul. Mais le champagne est, par excellence, un vin de société, et, dans une assemblée de joyeux convives peu propice à la rêverie, ce jaillissement sans 88

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