1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

turer le « vrai visage » du vin de Champagne!... Vous en doutez? Laissez-moi vous conter brièvement deux anecdotes dont je puis certifier l’authenticité : Il y a quelques années, un grand industriel — français s’il vous plaît, et même lorrain, — un homme important d’ailleurs, nullement le premier venu, ingénieur-directeur d’une puissante affaire métallurgique de l’Est, amené à Reims par un congrès au cours duquel j’avais fait sa connaissance, et fatigué par une séance laborieuse, me pria de le piloter quelques heures dans la cam­ pagne rémoise. Comme je m’enquérais de ce qu’il désirait voir, il me répondit avec un sourire dont je ne devais saisir que plus tard l’ironie voilée : « Je voudrais voir... des vignes! » Il fut servi à souhait : tout l’après-midi, nous roulâmes au milieu d’une mer de pampres, sur les deux versants de la Mon­ tagne de Reims, dans la vallée de la Marne et jusqu’à la Côte d’Avize; partout, un moutonnement serré de ceps grimpait à l’assaut des forêts qui coiffent les coteaux. C’était — il m’en souvient encore — l’époque de la flo­ raison et les vignes dégageaient, exaltée par une récente averse, cette odeur ténue mais exquise, qu’on n’oublie plus quand on l’a respirée à fond. Mon hôte voulut bien se montrer satisfait et me déclarer avec candeur : « Je croyais, jusqu’à présent, que le vignoble champenois... c’était de la blague! » Et devant ma stupéfaction : « Oui, précisa-t-il, je pensais qu’il n’y avait pas de vignes chez vous et que les négociants de Reims et d’Epernay fabri­ quaient (!) leur champagne avec des vins qu’ils faisaient venir d'un peu partout!... » ...Et voici ma seconde histoire : C’est un groupe d’industriels et de com­ merçants venus d’un pays étranger — hôtes courtois et distingués d’ailleurs — qui visitent une des plus vastes caves de Reims; ils parcourent les galeries souterraines; on leur explique minutieusement, dans leur langue impecca­ blement articulée, les diverses manutentions par lesquelles passe le vin, en insistant, comme il se doit, sur le caractère essentiellement naturel de cette préparation. Ils écoutent avec une extrême attention et, le « topo » terminé, l’un d’eux questionne : « Pardon, dit-il, avec un grand sérieux, je voudrais savoir à quel moment se fait l’addition d’acide carbonique... » Je pourrais .citer dans ce domaine bien d’autres aberrations, ne fût-ce que celle de ce monsieur qui, assis près de moi en je ne sais quel médiocre ban­ quet, me confiait, à l’heure des toasts, tout en humant distraitement, parmi quelques cuillerées de café, une gorgée d’un mousseux quelconque : « Je fais attention à ce que je bois quand j’ai dans mon verre un grand bourgogne ou un vieux bordeaux, mais le champagne, n’est-ce pas, ce n’est pas du vin!.. » Et que dire de ce polygraphe, romancier-pasticheur-historien (?), qui, cessant un beau jour de renifler la poussière scandaleuse des alcôves royales ou princières pour humer les odeurs de cuisine, s’en prit — piqué par on ne sait quelle mouche — à l’innocent champagne et déversa sur lui des malé- 9

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