1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

Certains vieux amateurs, doués d'une mémoire gustative étonnante, compa­ rent les récents millésimes avec ceux d’années lointaines, discutent de leurs mérites respectifs, comme s'ils avaient gardé sur la langue le bouquet de tous ces vins fameux, dont la plupart sont épuisés jusqu’à la dernière goutte...

LE CHAMPAGNE S'AMÉLIORE-T-IL EN VIEILLISSANT?

La réponse doit être en principe affirmative mais peut-être moins catégo­ riquement qu’elle ne le serait pour les vins de Bordeaux et de Bourgogne. D'abord, un vin de Champagne de grande année possède, d’ordinaire, la pléni­ tude de ses qualités quand, après cinq ou six années de séjour dans les caves, il est lancé sur le marché. Néanmoins, ces qualités s’affirment encore, en général, pendant plusieurs années. On ne peut formuler à cet égard aucune règle absolue : il faut au champa­ gne le temps voulu pour perdre toute pointe d’acidité. Ce temps peut varier beaucoup : certains vins de grande année sont précoces et se développent rapi­ dement. Ainsi, les 1900, les 1906, corsés, peu acides, étaient dans leur meilleur cinq ou six ans après le pressurage. D’autres, plus tardifs, continuent à s’épa­ nouir plus ou moins longtemps. Les 1904, par exemple — vins ravissants mais très acides — ont mis huit ou dix ans à développer toutes leurs qualités; on en a vu qui se maintenaient dans toute leur fraîcheur et leur beauté pendant vingt et même trente ans. Mais il est bon de choisir et de goûter la bouteille avant de l'offrir, car toutes n'ont pas Je privilège d’atteindre sans encombre une aussi robuste longévité... Il s'agit d'ailleurs ici de vins de grands crus, plus lents à sc faire mais aussi plus vigoureux. Les vins des petits crus atteignent souvent leur sommité après deux ou trois ans et dégringolent en général après cinq ou six. C'est un lieu commun de dire que le champagne doit être bu très frais; nous en tombons d’accord. Rien n’est plus détestable et nauséeux qu’un vin mousseux tiède, mais il faut se garder de l’excès opposé. Grands avaleurs de boissons glacées, les Américains sont sans doute quelque peu responsables de la pratique vicieuse suivie par certains restaurants, où le champagne est servi frappé à bloc et conduit à une température voisine de la glace, causant ainsi à la bouche une sensation de brûlure qui suffit à annihiler totalement son bouquet si délicat. Les grands négociants offrent à leurs hôtes du vin qu’ils font monter direc­ tement des caves et servir tels quels, à 9 ou 10°; la fraîcheur en est exquise. Comme tout le monde n'a pas à sa disposition les merveilleuses caves de Cham­ pagne, nous admettons qu'il faille rafraîchir le vin avant de l’offrir, mais, de grâce, encore une fois, allez-y discrètement et gardez-vous de le tuer par le froid, sous prétexte de le rendre plus agréable, à moins que vous ne désiriez rivaliser de température avec les glaces de l’entremets; ce serait là jeu bien vulgaire, auquel il siérait de consacrer non pas un grand vin de Champagne qui mérite plus de considération mais un mousseux de la plus basse catégorie... 92 FROID , MAIS PAS TROP!

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