1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

Je ne connais pas LE champagne nature plus que LE vin du Midi par exemple ; je connais seulement DES vins de Champagne non mousseux, les uns exquis, d'autres médiocres, d’autres encore franchement mauvais... » Et d’abord, je n’aime pas beaucoup cette dénomination; si ce ne sont pas des ennemis du champagne qui l’ont inventée, elle ne peut que leur plaire, car en proclamant « nature », c’est-à-dire naturel, le vin ainsi qualifié, elle semble laisser entendre a contrario que le vin de Champagne mousseux, lui, ne serait pas « naturel ». C'est la reprise, sous une forme détournée, de la vieille accusation, qui ne « tient » pas devant un simple exposé des méthodes employées pour la préparation du champagne. Du reste, cette appellation « champagne nature » est illégale : ce n’est pas du champagne, ce nom étant exclusivement réservé au vin de Champagne rendu mousseux , et quant à être nature — ou naturel — c’est une qualité qu'il partage avec tous nos vins de France, à l’exception de quelques bas produits frelatés ou gazéifiés à grand renfort d’acide carbonique. Aussi dame Régie — autrement dit l’Administration des Contributions indirectes — a-t-elle cru devoir baptiser ce vin : a Vin originaire de la Champagne viticole (non mous­ seux) », soit en abrégé V.O.C.V. Nous n’oserions prétendre que celle dénomi­ nation soit très heureuse, qu'elle se recommande par sa brièveté ou son euphonie, mais elle est légale et cela devrait suffire! Ces questions de terminologie étant tranchées, revenons au... vin nature. Car, après avoir vilipendé cette dénomination, j'en arrive à la défendre!... Elle dit après tout ce qu’elle veut dire et ce n’est pas un mince mérite... V.O.C.V. est imprononçable et je crois bien qu’après réflexion (mais ne le dites pas à la Régie!), je me rallierais à l’appellation «vin nature de Champagne», qui est déjà entrée dans la langue : une fois encore l’usage aura été plus fort que la loi. Par contre, l’appellation « champagne nature » doit être rigoureusement proscrite, non seulement parce qu’illégale, mais parce que fausse et propre à créer une confusion qui doit être évitée : le véritable « champagne nature », c’est le champagne mousseux brut; beaucoup de négociants emploient indiffé­ remment les deux termes; peut-être y a-t-il entre les deux une nuance : le cham­ pagne brut peut comporter — exceptionnellement d’ailleurs — une dose infinité­ simale de sucre; le champagne nature en est complètement indemne. Le meilleur moyen, pour éviter toute équivoque, serait d’indiquer le nom du cru, suivi du qualificatif « nature », par exemple « Ay nature », « Cramant nature », mais lorsqu’il s'agit d’un cru moins estimé, les producteurs ne tiennent guère à cette appellation et, d’autre part, on trouve, bien qu’assez rarement, des vins nature composés, comme le champagne mousseux, d’un mélange de divers crus. Ceci dit, il faut maintenant serrer de près la réalité et reconnaître que la dénomination « vin nature de Champagne » est un pavillon qui couvre des mar­ chandises de mérite fort inégal. D'abord, si les vins non mousseux ont toujours été consommés sur une très petite échelle et, en général, sur place, leur diffusion au dehors et leur vente par grandes quantités sont des faits tout récents (du moins depuis la « découverte » des vins de Champagne mousseux à la fin du XVIIe siècle. Jusqu’à cette époque, on ne connaissait au contraire que des vins « nature »). Aujourd’hui, la Champagne produisant normalement une quantité de raisin à peine suffisante pour les besoins de la champagnisation, les vignerons vendent

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