1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

aux négociants transformateurs la totalité ou presque de leur récolte. Mais au lendemain de 1930, la crise mondiale s’est brutalement répercutée sur les vins de Champagne. Les négociants, éprouvés par la mévente et encombrés de stocks de vins d'excellentes années, se sont trouvés dans l’impossibilité d’acheter les raisins des vignerons. Ces derniers, ne sachant à quel saint se vouer, ont vinifié tant bien que mal, avec l’aide des collectives et des coopératives et ont pris le train pour Paris, porteurs d’échantillons qu'ils ont offerts de restaurant en restaurant. Le public a accueilli favorablement leur initiative; ces vins frais, légers, étaient vendus à un prix peu élevé, intermédiaire entre le coût des vins ordinaires et celui des vins fins; le « champagne nature » est devenu rapidement «à la mode; tout le monde en buvait, tout le monde en parlait. Au bout de quelques années, on déchantait quelque peu : les vignerons, ayant épuisé les récoltes fameuses de 1928 et 1929, lançaient sur le marché les vins de 1930, 31, 32, bien inférieurs en qualité; il m’est arrivé d’en boire à cette époque dans des restaurants modestes; ils étaient parfois acides à faire danser les chèvres!... La vérité, c’est que le «vin nature» vaut ce que valent les crus, les années et la façon dont il est préparé. Si le cru est médiocre, si l'année a été pluvieuse et que le raisin ait mal mûri; si le vin nature est le produit des secondes tailles, ce vin aura bien droit à l’appellation V.O.C.V., mais il aura chance d’être plat et acide à la fois. En revanche, un vin non mousseux de grande année et de premier cru, préparé avec les mêmes soins que le vin de Champagne, pourra être une boisson vraiment délectable en même temps qu'une révélation pour ceux qui l’ignoraient. Seul, le vin nature permet d’isoler dans la dégustation l’élégance racée d’un Verzenay, la plén;tudc corsée d'un Av et l’exquise finesse d’un Cramant, d’un Mesnil ou d’un Avize. Les déjeuners de l’Académie Goncourt ont répandu la renommée des blancs de blancs (vins blancs de raisins blancs), et certes cette réputation n’est pas volée, mais encore faut-il, pour' éviter toute déception, choisir soigneusement les crus et les années. Il convient d’ajouter que les « vins nature » de Champagne sont essen­ tiellement fragiles et capricieux et qu’ils supportent parfois fort mal les trans­ ports à longue distance. Vous avez goûté sur place, au hasard d'une promenade dans la Montagne de Reims, un « vin de pays » qui vous a paru exquis — et qui l’était. Vous en commandez cent bouteilles que vous vous faites expédier; vous le goûtez à l’arrivée; malgré la fatigue du voyage, il est encore excellent. Mais au bout de quelques mois, pour peu que vous l’avez logé dans une cave défavorable à sa conservation, vous vous apercevez qu'il a complètement perdu son bouquet; d’autres fois, c'est une maladie mystérieuse qui le rend trouble ou le fait « tourner »... Ce sont là des accidents qui n’arrivent pour ainsi dire jamais aux vins de Champagne mousseux; ceux-ci, faits d’un mélange de divers crus et traités avec les soins minutieux que nous avons décrits, sont beaucoup plus stables et on les expédie couramment aux antipodes sans qu’ils perdent dans ce long voyage aucune de leurs qualités originelles. UN NECTAR : LE BOUZY ROUGE. Beaucoup ignorent l’existence des vins ronges non mousseux de Champagne dont certains sont exquis; il n’en est produit d’ailleurs que de faibles quantités; mais ceux de Bouzy, par exemple, surtout lorsqu'ils proviennent d’une bonne 97 7

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