1952 Connaissance du Champagne by Maurice Hollande

à payer plus cher, surtout si la qualité des raisins fait prévoir une grande année, permettant d’escompter le tirage de cuvées millésimées. D’ailleurs, il faut dire à la louange des grandes maisons qu’elles ne se laissent pas guider par leur seul intérêt : il existe en Champagne, plus peut- être que dans d’autres régions, une solidarité réelle, effective, entre tous ceux qui vivent de la vigne, et, fréquemment, il est arrivé, lorsqu’une série d’années désastreuses avait durement éprouvé les vignerons, que les grands négociants s’entendissent pour leur assurer un prix de vente rémunérateur, sans rapport avec leurs propres besoins... A litre d’exemple et pour montrer l’amplitude que peuvent atteindre les variations du prix d’achat du raisin, nous indiquerons qu’avant 1914, les prix inaxima ont été pratiqués en 1880 (3 fr. 67 le kg.), 1889 (3 fr. 92), 1892 (3 fr. 33) et 1911 (3 fr. 25) ; par contre, les prix de 1 fr. ou 0 fr. 75 le kg. étaient courants. Entre les deux guerres, le prix le plus élevé a été atteint en 1926 (11 fr. le kg.) ; les prix sont descendus à 1 fr. 50, 1 fr. et même 0 fr. 50 en 1934, année de vin superbe mais de récolte surabondante. Enfin, la dévaluation récente et considérable subie par notre unité moné­ taire au cours des dernières années a entraîné forcément une nouvelle ascension des prix du raisin, qui ont atteint, aux vendanges 1950, le prix record de 100 fr. le kg. (plus une prime de 10 fr. par kg. pour l’emploi des cépages nobles). En même temps, et dans les mêmes conditions que les prix des raisins, sont fixés chaque année ceux des vins clairs et les prix des transactions dites « à la goulotte », portant non plus sur les raisins, mais sur les moût9 vendus à la sortie du pressoir (transactions assez rares, du moins dans le département de la Marne). CONDITION DES VIGNERONS. De tout ce qui précède, il résulte que la condition du petit propriétaire vigneron, d’une année à l’autre, est soumise à des fluctuations très considéra­ bles pouvant résulter de facteurs multiples et également imprévisibles : influence du climat et maladies de la vigne, variations dans le prix d’achat du raisin et, enfin^ causes diverses agissant directement sur la vente des vins de Champagne et réagissant infailliblement sur le sort du vigneron, car les tarifs douaniers surélevés, les vagues de prohibition, les droits de circulation et de consommation excessifs, qui sont les ennemis du négociant, le sont égale­ ment du producteur... La situation du petit propriétaire viticole de Champagne est donc très aléatoire : une bonne année le verra momentanément pourvu d’argent liquide... et dépensier, car il ne pratique point les habitudes d’économie un peu serrée qui caractérisent le paysan français. Mais si, l’année suivante, la récolte est nulle ou médiocre ou s’il ne la vend pas à un prix rémunérateur, le propriétaire, qui aura dû, de toutes façons, débourser de gros frais de culture, va se trouver subitement dans un état proche de la gêne, sinon de la misère. Et il en sera ainsi — fait paradoxal en appa­ rence — surtout dans les grands crus où l’on ne pratique guère d’autre culture que celle de la vigne, alors que, dans les crus de second ou de troisième ordre, toute la vie ne gravite pas exclusivement autour du vignoble; là, le vigneron, étant aussi cultivateur, peut compenser, dans une certaine mesure, le manque à gagner résultant d’une vendange déficitaire ou d’une mévente de ses raisins.

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